Pop Up Puppets, Stockholm, 2024
Malgré son titre à consonance éphémère, Pop Up Puppets 2024 est un festival de marionnettes qui propose des spectacles de grande envergure, splendides et bien ancrés dans la réalité. Pour sa troisième édition, le succès grandissant du festival a marqué le paysage culturel de Stockholm et laisse présager que les festivals à venir se poursuivront et se développeront. Les spectacles de cette année étaient magnifiques, complexes, certains composés de noms connus, d’autres moins connus mais tout aussi splendides. J’ai vu 8 spectacles en deux jours. Chacun d’entre eux m’a époustouflé par sa narration, son atmosphère, sa puissance ou sa technique.
Je ne vais pas parler de chaque spectacle séparément (les spectacles que j’ai vus venaient d’Irlande, du Brésil, de Suède, du Liban, de Finlande, de France, d’Israël et de Belgique), mais plutôt souligner la puissance, l’intelligence, la peur, le désespoir, parfois la résignation et la gloire qui ont marqué le festival de cette année, grâce à ce que je crois être une convergence involontaire de thèmes et de styles : les spectacles n’ont peut-être pas été choisis pour se refléter les uns les autres en termes de style ou de contenu, mais plutôt pour présenter un excellent théâtre de marionnettes pour adultes dans toute une gamme de genres différents. Les thèmes dominants qui ont émergé, peut-être accidentellement, sont toutefois surprenants. Le changement climatique : non pas par le biais d’un didactisme quelconque, mais par le biais de réflexions visibles et visuelles sur les animaux, les humains et les paysages ; des errances solitaires dans des paysages mornes, marqués par l’extrémité et l’impuissance de l’être humain à survivre, et encore moins à contrôler son monde ; le caractère éphémère de la condition humaine : des effigies ; des traces, des bustes, des formes, des marques sur le sable, le gravier et l’argile. Des archéologues au visage impassible qui creusent, brossent et déterrent les vestiges de civilisations successives à travers de multiples couches ; la fatalité du temps : de la mémoire ; de la futilité du travail, de l’effort et de la recherche. Futilité, parce qu’en fin de compte, tout, chaque effort, chaque ouvrage, chaque découverte a été détruit et submergé par l’argile, le sable, le plastique, ou balayé par l’eau, le vent et la nature sauvage ; les mythes anciens ont été mélangés à la psychologie du XXIe siècle ; la dystopie a rencontré la mondanité. Mais surtout, les spectacles ont souligné la longue route de la race humaine pour être, montrer, marquer, construire, vaincre, essayer encore, et encore, et encore, pour se heurter à une insupportable inutilité, en dépit de quelques lueurs d’espoir ponctuelles. Une phrase tirée d’une nouvelle d’Isabel Allende m’a hanté tout au long du festival : And of Clay are we Created (Et d’argile nous sommes créés). Les marionnettes sans personnalité (ce n’est pas une critique, mais un style) étaient le plus souvent dépourvues d’émotions, passives et impassibles. Et toutes, ou presque toutes ces marionnettes étaient des statues, des effigies, généralement non articulées dans leur conception et inarticulées dans l’absence de mots compréhensibles. Les récits étaient tirés de rituels, de musique, de paysages sonores, de peinture, de mise en scène, de poésie et de récits sauvages si rapides que l’on pouvait à peine en saisir le sens. J’ai décrit la vision comme étant sombre, et la vision du destin de la race humaine était en effet désespérément sombre et sans espoir, d’une manière que j’ai rarement vue dans un ensemble de spectacles. J’ai ressenti, peut-être pour la première fois dans l’art de la marionnette, la terreur brute et primitive ressentie à l’idée – ignorée à cause d’une impassibilité obstinée – qu’il est trop tard. Trop tard pour sauver le monde, trop tard pour nous sauver nous-mêmes et trop tard pour être autre chose que relégués à l’état de squelettes et d’os que de futures créatures – qui ne seront probablement pas humaines – découvriront et étudieront dans des paysages dépouillés d’arbres, de créatures vivantes et de sens. Le rugissement étranglé de l’ours polaire, l’empreinte destructrice de la main de l’homme sur la meute de loups peinte à l’argile – ou étaient-ils des ours -, le bruit de forage de l’excavatrice minière. Sisyphe, Ariane, Garcia Marquez, les références étaient riches et les formes d’expression inventives, mais le message parfois redoutable.
Le festival, cependant, n’a jamais été désespéré ou tragique ; les spectacles ont été d’une magnificence et d’une puissance glorieuses. Ils nous ont rapprochés, en tant que public, en nous rappelant que la seule façon d’exister dans ce monde dystopique que nous avons créé en toute connaissance de cause, est de nous rapprocher et de nous rassembler. Et malgré le fait qu’il soit trop tard, quelque chose dans les spectacles suggère que cela n’a pas d’importance : que la nature, la planète, toutes les autres formes de vie, le temps, sont en train de reprendre leurs droits. Que les humains sont enfin confrontés à leur propre insignifiance, et que c’est vraiment, vraiment bien. L’espoir réside peut-être dans la prise de conscience même de notre insignifiance.
Deux spectacles se détachent de cette ambiance de fin du monde. Deux pièces autoréflexives sur le soi, l’identité et la reconnaissance s’attardent sur le transhumanisme, l’expérimentation médicale, les abus sexuels et la rédemption (Yael Rasooly et Duda Paiva, tous deux têtes d’affiche du festival).
La main du génie confirmé Neville Tranter était bien présente dans ce festival. Il a mis en scène au moins deux des spectacles, et ses techniques étaient visibles ailleurs, la relation entre la marionnette, le marionnettiste, le pouvoir et la satire apparaissant dans plusieurs pièces. L’habileté, faussement simple mais durement acquise, qui consiste à parler pour sa marionnette tout en jouant à côté d’elle et en étant en relation avec elle, a été stupéfiante dans tous les spectacles. Les techniques de narration, qui mêlent, entre autres, la peinture à l’argile, les marionnettes tricotées, évitent tout sens de la forme figurative et nous plongent dans un monde où la matière, plus que jamais, parle. Le festival était remarquable, et le théâtre de marionnettes est en train de changer. Dans ce festival, l’humain n’est nulle part dominant. L’homme, ou le marionnettiste, était présent dans chaque spectacle, d’une manière si complète que je ne l’avais jamais vue auparavant dans une série entière de spectacles.
Ce festival désormais régulier est l’œuvre d’Helena Nilsson, directrice artistique de Marionetteatern, un théâtre de marionnettes bien établi dans le Kulturhuset, au cœur de la ville de Stockholm. Marionetteatern est intégré au théâtre municipal (Stadsteatern) du Kulturhuset depuis 2003, mais dispose de sa propre scène et de sa propre direction artistique. Helena milite depuis de nombreuses années pour l’organisation d’un festival de marionnettes à Stockholm et c’est en grande partie grâce à elle que la portée et l’ampleur du théâtre de marionnettes sont aujourd’hui visibles dans tout le pays. Le prochain festival aura lieu en août 2026.
Great review Caria. And lovely to finally meet you in Stockholm.