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Union Internationale de la Marionnette

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Hetty Paërl – membre honoraire de l’UNIMA depuis le 30 mai 2016

De wereld van het poppenspel – Pays-Bas – N°3, 2016
Frans Hakkemars, Paul Custers

Le 30 mai 2016 Madame Hetty Paërl – une femme joyeuse, ouverte, passionnée et surtout modeste – a été nommée membre d’honneur de l’UNIMA par le comité international de l’UNIMA. Une excellente occasion pour faire une interview de cette artiste. Car en plus d’être illustratrice, peintre et musicienne, elle est également auteure d’un grand nombre de livres sur le théâtre de marionnette et spécialiste de Jan Klaassen, dont l’arbre généalogique traverse toute l’Europe.  Hetty Paërl est née à Wijhe le 16 juin 1931. C’est une femme qui adore rire, partageant cet art de vivre avec Punch, le cousin anglais de Jan Klaassen : “Voilà comment faire !”

Un livre sur le théâtre de marionnettes

Hetty Pearl« Je dois tant de choses à l’UNIMA. Mes recherches sur le théâtre de marionnettes populaire traditionnel m’ont tant apporté, à commencer par notre Jan Klaassen. Dès mes débuts, j’ai suivi Wim Kerkhove, qui a su sauvegarder puis renouveler le théâtre de Jan Klaassen.  Il m’a beaucoup appris. Otto van der Mieden m’a, lui, chargé de belles missions et autorisé à utiliser pleinement sa bibliothèque. J’ai voyagé à travers l’Europe et eu la chance de rencontrer tout au long de ce voyage d’excellents marionnettistes, chaleureux et cordiaux, qui me racontaient passionnément leur métier. Ils sont souvent devenus de vrais amis et m’ont orienté vers d’autres marionnettistes, vers de la littérature et des musées sur le théâtre de marionnettes. C’est aussi grâce à des bourses de recherche que j’ai pu écrire des livres sur le théâtre des marionnettes.

Après ma formation à l’école d’art industriel à Amsterdam (anciennement l’Académie Rietveld), je suis devenue illustratrice de livres. C’est dans l’étalage de la librairie Langkamp & Brinkman que j’ai découvert un théâtre de papier de Pollock. On pouvait se procurer des planches de construction de ce théâtre dans le magasin. Je me suis donc mise à créer un théâtre de papier que j’ai emmené chez mon éditeur pour lui proposer d’écrire un livre dessus. L’éditeur a souhaité que j’élargisse le thème aux autres marionnettes, notamment à gaine et à tige. Mais lorsque j’eu fini ce travail, il me dit que ce projet était trop gros pour sa petite maison d’édition. Il m’a donc renvoyé vers un autre éditeur, qui ne voulait qu’un livre sur le théâtre d’ombres avec une partie historique et une partie fabrication « do it yourself ». Ce livre est paru en 1979. C’est le seul livre qui m’a rapporté beaucoup d’argent. Il a été traduit en Allemand et en Français, et une édition de poche est parue. Cet éditeur m’a permis ultérieurement de réaliser un autre livre sur les ressources non utilisées, qui a été publié en 1982. »

Mais qu’en était-il de Jan Klaassen?

“Dans la littérature sur le théâtre de marionnettes populaire en Europe, il est raconté que Jan Klaassen a ses racines en Italie : il est “né” de Pulcinella, l’ancêtre de beaucoup de figures importantes du théâtre de marionnettes populaire Européen. Pulcinella a d’ailleurs des ancêtres en Egypte, chez les Romains. Depuis le début du 17ème siècle, la figure de Pulcinella s’est répandue peu à peu à travers toute l’Europe. Chaque pays a sa propre version, comme par exemple Kašpárek en Tchéquie, Kasperl en Allemagne, Polichinelle en France, Punch en Grande-Bretagne. Le costume de Pulchinella est blanc et la tête de la marionnette est peinte en noir et blanc. Ses descendants Européens portent tous un costume bigarré. J’avais lu que Pulchinella était un hermaphrodite, qu’il avait le nez en bec d’oiseau, ou encore qu’il avait les traits d’un poussin. Pourquoi ? C’est ce que j’avais hâte de découvrir ».

Lors du 325e anniversaire de Punch et Judy, le marionnettiste Italien Bruno Leone a joué Pulcinella à Londres, en alternance avec Salvatore Gatto. Salvatore jouait de la guitare et chantait à la perfection tandis que Bruno Leone dansait devant le théâtre dans son costume blanc de Pulcinella avec son masque. Hetty s’en est allée danser avec lui, spontanément. De fil en aiguille, Bruno Leone l’invita à venir passer trois semaines en Italie pour assister à un festival de 6 jours de théâtre de marionnettes populaires à tige en Sicile, puis au festival de Pulcinella qu’il organisait à Naples. Pulcinella est très populaire à Naples. Hetty apercevait des petits voyous grimper tout en haut du grillage devant les fenêtres d’un petit théâtre complètement bondé pour voir, autant que possible, la représentation.

De préférence en Anglais après tout ?

Bruno Leone faisait des études d’architecture mais voulait en fait devenir marionnettiste. Il se présenta auprès du dernier marionnettiste populaire, Nunzio Zambella, qui n’en voulu rien savoir. Ce n’est finalement que quand Bruno appris à parler en utilisant un pivetta (sifflet de gorge) qu’il avait fabriqué lui-même et qu’il donna des représentations très appréciées pour jeunes délinquants en prison, que Zambella lui donna son propre pivetta et lui appris les secrets du métier. Bruno Leone a rassemblé beaucoup d’éléments et de connaissances sur les sources symboliques de Pulcinella.

“Par la suite, je suis retournée une dizaine de fois à Naples. Mon livre sur Pulcinella, paru en 2003, est merveilleux mais ne se vend que difficilement. Après avoir été publié d’abord en Italien, l’Institut de Théâtre aux Pays-Bas de l’époque a accepté de publier l’édition en Néerlandais avec une grande quantité d’images. Oh comme j’aimerai faire publier Pulcinella, het mysterieuze spiegelbeeld van de mens (Pulcinella, l’image réfléchie mystérieuse de l’homme) en Anglais après tout cela ! Et aussi le livre Heerekrintjes – over Jan Klaassen en zijn buitenlandse soortgenoten (Heerekrintjes * – sur Jan Klaassen et ses congénères étrangers), paru en 1987. Il s’agit d’un résumé de ce que les auteurs de différents pays ont écrit sur leur propre tradition du théâtre de marionnettes populaire, complétée de mes observations sur ce qu’il en reste aujourd’hui. Peut-être que le fait d’avoir été nommée membre d’honneur de l’UNIMA internationale et la publicité qui en découle m’y aideront un peu.”

Percer la barrière des langues

“Le monde de la marionnette est un monde merveilleux. Certains marionnettistes vous reçoivent les bras ouverts et vous racontent tous les secrets du métier. Autrefois c’était beaucoup moins le cas, il y avait plus de concurrence et, par souci de survie, on ne sortait pas toutes ses cartes. Lors des conférences auxquelles j’assistais, on parlait le plus souvent de l’histoire et de la signification du théâtre de marionnettes. Après la publication de mon livre sur les ombres chinoises, Felcia van Deth me demanda si je voulais co-écrire avec elle le livre De Theaterpop (La marionnette de théâtre), paru en 1981. Ensuite NVP-UNIMA m’a demandé si je voulais écrire un aperçu des Développements du Théâtre de Marionnettes aux Pays-Bas dans les années de 1945 à 1981, qui est paru en 1982. Puis les portes se sont ouvertes plus facilement pour moi.”

“La force des bons marionnettistes tient souvent à un jeu convaincant. J’ai vu le spectacle du fameux marionnettiste Hongrois Henrik Kemény à Londres, lorsqu’il jouait pour un public d’enfants. Il jouait en Hongrois et sa marionnette principale, Vitesz Laszo, s’adressait aux enfants en Hongrois : il leur posait des questions et les enfants répondaient en Anglais. Son jeu était tellement suggestif, c’était déconcertant ! Le théâtre de marionnettes populaire a des canevas : l’humour, l’interaction avec le public, le jeu sur l’actualité, l’improvisation sont autant de parts essentielles du théâtre de marionnettes populaire.”

Du temps du mur de Berlin, les marionnettistes populaires recevaient un accueil glacial en Tchécoslovaquie. Anton Anderle, qui venait d’une famille où ce métier était transmis de génération en génération, devait se considérer comme amateur. Il n’avait pas le droit de se produire à l’étranger. Hetty l’a vu jouer à Prague, elle l’a trouvé fabuleux ! Quand Hetty a appris qu’il y aurait un festival international du théâtre de marionnettes populaires en Autriche, elle a fortement recommandé à l’organisateur d’inviter Anderle et celui-ci a obtenu pour la première fois l’autorisation de son gouvernement d’y participer ! Hetty était présente lors de sa représentation en Autriche et a reçu, en guise de remerciement à l’issue de la représentation, la marionnette principale : Gasparko. Un an plus tard, Anderle lui fit cadeau de Zabinka, la femme de Gasparko. Nous avons pu voir combien elle prenait un tendre soin de ces magnifiques marionnettes.

Voilà comment faire !

Hetty Pearl

Hetty montre Gasparko et Zabinka qui pendent chez elle au mur

“Lors d’un symposium à Charleville Mézières sur le théâtre de marionnettes populaires, il y a eu une vive discussion sur la symbolique sous-jacente du jeu. Le personnage principal représente l’homme de la rue, les autres personnages sont des parties de son “moi” qui sont placées hors de lui-même et qui doivent être combattues. Le personnage principal se joue de la main droite, les adversaires de la main gauche. Ils entrent en scène l’un après l’autre. Le personnage principal, chez nous Jan Klaassen, les affronte : la mort, le général, le bourreau, Katrijn sont tous des reflets de lui-même avec lesquels il engage le combat de la vie. Voilà comment faire !

Faire de façon subtile, créative et sensible

“A mon sens, la tradition est très importante. Il n’est pas nécessaire d’introduire les personnages principaux, ni les conflits réciproques. Leurs attributs ont déjà été démontrés et l’on peut construire sur ce qui a déjà été développé. La souris est capturée dans la casserole ou, dans ton cas Frans, c’est Katrijn qui attrape le fripon avec un chariot. Le théâtre de marionnettes contemporain, qui est souvent intégré ou fusionne avec d’autres disciplines de théâtre et d’art, est un développement intéressant. L’art et le théâtre contemporains sont bien connus pour déplacer et franchir continuellement les frontières. Comment le théâtre de marionnettes se sera développé d’ici vingt ans ? Je ne saurai vraiment pas le dire. On voit régulièrement dans l’histoire des fluctuations et la tradition n’est pas non plus une chose qui reste fixée pour toujours. Une marionnette peut plus facilement parler librement, tel le fou du roi qui était le seul à le critiquer vertement. Le théâtre de marionnettes est un moyen efficace de critiquer les situations sociales intolérables. Le marionnettiste peut se cacher derrière la marionnette et dire : ‘ce ne sont pas mes mots, ce sont ceux de la marionnette’. Je continuerai toujours à défendre la liberté d’expression et je ne comprends pas bien pourquoi aujourd’hui les gens se sentent continuellement offensés.”

Hetty Pearl

Peinture d’Hetty Paërl de Wim Kerkhove, marionnettiste au Dam – Amsterdam – de 1980 à 2000 et organisateur du Théâtre de Marionnettes au Dam que l’on peut admirer chaque dimanche depuis 2012. Il est également le fondateur de l’Académie Jan Klaassen.

 

“Parmi toutes les figures principales du théâtre de marionnettes Européen, Punch est sans doute le plus cruel. Un marionnettiste Anglais me confiait un jour que Punch représente l’hypocrisie de l’homme. Il nous montre comment nous traitons nos sentiments de mécontentement, de frustration, de déception et de colère. Il nous présente un miroir déformant. Allez, sortez avec ce bébé bêlant hors du théâtre, avec un grand geste de la main de Punch. ‘Collez-les derrière le papier-peint’, disaient les parents autrefois quand ils étaient fatigués de leurs enfants. Il existe une scène dans laquelle Punch passe le bébé à travers un hachoir et, lorsqu’il retourne la manivelle, le bébé réapparait intact ! Ce petit jeu se répète plusieurs fois. Ce sont surtout les enfants qui rigolent énormément. Il faut que ça tape aussi dur que possible ! Ce n’est qu’un jeu (que du théâtre). Ce sont, bien des fois, les adultes qui se font du souci quant à l’âme de leurs enfants. Cependant c’est la sagesse de la vie, l’art de la vie, comme si tout n’était qu’un lit de roses dans la vraie vie. N’avons-nous pas le droit alors de nous défouler en regardant du théâtre de marionnettes ? Je trouve cela délicieux, c’est un bol d’air ! Dimanche dernier (le 8 Mai, jour de la Fête des Mères), j’ai été voir Egon Andel, du Théâtre de Marionnettes au Dam. Cela m’a rappelé que pour certains enfants, ce n’est pas juste du théâtre, les marionnettes sont vivantes. On s’en rend compte aussi lorsqu’ils viennent serrer la main de Jan Klaassen à l’issue de la représentation.

Aller fouiller un peu

La vie, aussi sérieuse et vulnérable qu’elle puisse être, n’est qu’un jeu. C’est comme ça. Il faut en rire !

Hetty s’exclame plusieurs fois durant notre entretien : « Ah, tous ces noms, je ne m’en souviens plus, je deviens vraiment âgée, je trouve cela terrible. » Mais elle sait transmettre encore tant de choses avec passion et fougue. La plupart sont bien documentées dans ses livres, ce n’est qu’une question d’aller fouiller un peu. C’est formidable ce qu’elle a pu rassembler durant toute sa vie. Il n’y aucun doute qu’elle méritait la qualité de membre d’honneur de l’UNIMA internationale.

Vous souhaitez en savoir davantage sur Hetty Paërl ? Vous pourrez trouver son œuvre complète dans la bibliothèque de NVP-UNIMA. Dans le musée du théâtre de marionnettes à Vorchten, on peut également lire beaucoup de ses livres, comme par exemple une interview, Handschriftelijk noteren (Prendre des notes manuellement), faite par Otto van der Mieden à l’occasion de son 80e anniversaire. On peut également trouver cette interview sur internet complétée d’une bibliographie de son œuvre. Le musée du théâtre de marionnettes contient par ailleurs beaucoup de ses peintures.

* Juron néerlandais. Une malédiction bâtardisée utilisée par les marionnettistes traditionnels du 19e siècle quand ils jouaient pour des familles huppées et devaient utiliser un langage décent.


© Hetty Paërl, Paul Custers et Frans Hakkemars le 20 mai 2016
Photographies prises par Frans Hakkemars durant l’interview le 11 mai 2016



Publication d'origine : De wereld van het poppenspel – Pays-Bas – N°3, 2016
Auteur(s) : Frans Hakkemars, Paul Custers
Traducteurs(s) : Louis Hoffman
Correcteurs(s) : Emmanuelle Castang